Face à une démographie galopante, l’accès à une ressource en eau de qualité et de proximité pour l’ensemble des habitants ainsi que la mise en place de réseaux d’assainissement représentent des défis capitaux pour les mégapoles africaines et méditerranéennes. Organisée dans le cadre de la première édition de la biennale Euro-Africa Montpellier Water Days, des échanges ont permis de poser un éclairage sur l’urbanisation et l’évolution de l’accès à l’eau.
« L’eau et l’assainissement soumis à la croissance des mégapoles africaines et méditerranéennes » telle était la thématique de l’une des tables rondes organisées lors de la biennale Euro-Africa Montpellier Water Days. Les intervenants ont ainsi partagé sur l’évolution comparée de l’accès à l’eau au Sénégal, en Mauritanie, au Bénin, à Madagascar et au Maroc. »
Un contexte évolutif
D’ici 2050, près de 10 milliards d’être humains peupleront la planète et près de 70% d’entre eux vivront en ville avec des besoins en eau différents et accrus. Mais déjà aujourd’hui trois milliards de personnes ne disposent pas d’installation avec de l’eau et du savon et plus de 2 milliards boivent de l’eau provenant d’une source contaminée par des matières fécales. Avec un million de personnes qui n’ont pas accès quotidiennement à l’eau potable, l’Europe n’échappe pas à ces difficultés.
Dans un contexte de forte démographie, la situation est d’autant plus préoccupante qu’à cela s’ajoutent des problèmes de péri urbanisation et de changement climatique.
Sénégal-Mauritanie, deux pays, une même source.
« En l’espace de quinze ans, le Sénégal (18 millions d’habitants) a connu une croissance démographique de l’ordre de 38%, avec une concentration très forte à Dakar, indique Charles Fall, Directeur Général de la Société Nationale des Eaux du Sénégal (SONES). Les tensions sont donc très importantes d’autant que les capacités de production (50% des ressources en eau proviennent du fleuve Sénégal, l’autre moitié des zones souterraines NDLR), qui jusque là étaient suffisantes, diminuent. En cause : une pollution accrue de certaines eaux de surface, un déficit récurrent des ouvrages, une diminution des apports saisonniers des fleuves en raison du changement climatique, des fuites d’eau. »
Pour couvrir les usages domestiques et agricoles, le Sénégal cherche à privilégier les grands transferts d’eau brute et a amorcé une réflexion sur la diversification des sources d’approvisionnement.
Même schéma du côté de la Mauritanie, la ressource provenant elle aussi, en grande majorité du fleuve Sénégal.
« La capitale Nouakchott est bâtie sur un plateau dunaire de basse altitude avec une urbanisation anarchique en zone inondable. Malgré les investissements importants faits pour la distribution de l’eau, le besoin en eau reste manifeste, déplore Aly Oud Abass, directeur Elma Forages. Le déficit est dû en partie au faible niveau de maintenance du réseau de distribution, avec notamment des poches qui restent non connectées. Nous avons en prévision une amélioration de ce réseau). Dès 2024, sont également prévus de nouveaux forages, une solution de traitement de pluie (partenariat avec le Sénégal) et une usine de dessalement d’eau de mer. »
Stress hydrique maximal au Maroc
Avec une ressource en eau qui est passée en quarante ans de 1 600m3 par an et par habitant à 600 m3, le Maroc est en passe d’atteindre le seuil d’alerte de stress hydrique. Lancé par le roi Hassan II, le projet des grands barrages dans le but d’assurer l’eau potable dans les grandes villes est aujourd’hui loin d’être suffisant.
« La question de l’assainissement n’est arrivée qu’en 2005 pour traiter les eaux usées, regrette Abdelghani Chehbouni Directeur du département Eau à l’Université Mohamed VI Polytechnique au Maroc. Toutes les grandes villes sont équipées de réseaux d’assainissement qui traitent environ 70% des eaux usées. Mais le monde rural, lui, a complètement été oublié, les grandes sociétés ne s’y intéressant pas. Il est impératif d’inventer une approche nouvelle basée sur l’implication des habitants car ce manque d’assainissement a des conséquences sur la santé des enfants, des animaux d’élevage, etc. C’est le chantier d’avenir à mener ! »
Le Maroc tente de trouver des solutions alternatives. Récemment des expériences ont été menées au Maroc sur le dessalement d’eau de mer à destination des agriculteurs et d’Agadir, ville touristique. A l’instar du Sénégal et de la Mauritanie, l’intrusion marine dans la nappe d’eau douce reste un fléau.
Madagascar, le contre-exemple en matière d’urbanisation
Plus grand que la France, Madagascar présente plusieurs écosystèmes. La capitale Tananarive est située sur les hauts plateaux, à 1 200m d’altitude, nichée dans une plaine alluviale de 20 000 hectares contrôlée par un seul seuil sur la rivière Ikopa.
« Dès les années 60, les habitants ont progressivement assuré une maitrise hydraulique de la plaine pour pouvoir pratiquer l’agriculture (riziculture), puis la plaine a été colonisée par des secteurs urbains avec des aménagements raisonnés en terme de drainage, d’assainissement. Mais à partir des années 80, l’exode rural a généré un vrai mitage de la plaine, sans respect des codes de base, provoquant des remblais sauvages un peu partout, contextualise Nicolas Petitjean, Directeur Général de BRL Madagascar. En 2014, le gouvernement a initié un schéma directeur de l’assainissement (avec BRL NDLR) avec la mise en place d’un système d’entretien et de gestion. Mais il est aujourd’hui impératif de faire des aménagements physiques pour sanctuariser ces zones de remblais au risque sinon d’être confronté à des phénomènes d’inondations catastrophiques au niveau des bas quartiers de Tananarive. »
La capitale, qui devrait passer de 3 à 4,2 millions d’habitants en 2025, est donc le contrexemple en matière d’urbanisation et de risque hydrologique avec des conséquences en termes de santé, de ressource en eau, d’environnement et de pollution.
Au Bénin, l’eau est un élément culturel
A 12 kilomètres du Nigeria, la capitale du Bénin, Porto Novo (400 000 habitants), est engagée dans une vraie politique nationale de l’eau.
« Nous sommes à 68% de couverture des besoins en eau, assure Charlemagne Yankoti, maire de Porto Novo (Bénin). Nous sommes au bord de la lagune et en termes d’usages tout nous lie à elle : pêche, agriculture, commerce, transport interurbain, sport nautique et écotourisme. Mais au-delà des usages domestiques, économiques, touristiques, l’eau au Bénin est un élément culturel fortement sollicité pour les prières, les libations et autres rituels, elle est aussi source de vénération (rivière et mare sacralisées pour une gestion durable). L’eau est dans tout ce qui vit et nous avons une vie similaire à celle du poisson : quant il sort de l’eau, il ne vit plus. »
Multiplicité d’actions
Pollution de la ressource générant la propagation de maladies infectieuses, exposition des populations aux risques, problèmes techniques (saturation précoce des infrastructures…), fractures territoriales, changements climatiques mais aussi géopolitiques… les défis sont multiples. Mais les leviers d’actions également.
L’eau présente multiples dimensions dont on peut se servir pour harmoniser les différentes politiques sectorielles, estime Patrick Lachassagne directeur de HydroSciences Montpellier (Laboratoire de recherche pluridisciplinaire dans les domaines des interactions entre eau, environnement et santé). Si, par exemple on imperméabilise les sols, on réduit la recharge des nappes d’eau souterraines (souvent la principale alimentation de l’eau de la ville NDLR) et on augmente également les risques d’inondation. En revanche si on infiltre plus largement et que l’on augmente les capacités ponctuelles de prélèvements dans la nappe, on peut limiter les risques d’inondation comme à Nouakchott ou à Montpellier (nappe du Lez). Considérer l’eau pour servir d’unificateur des différentes politiques menées dans les villes est surement un bon moyen d’assurer une cohérence. »
La réutilisation des eaux usées est aussi une solution alternative pour limiter la pénurie, en réduisant les prélèvements sur la ressource naturelle et en contribuant à la gestion intégrée de l’eau ( c’est-à-dire sous toute ses dimensions)A ce titre, les procédés membranaires (étudiés à Montpellier par l’Institut Européen des Membranes) occupent une part croissante dans le traitement des eaux usées en sortie de stations d’épuration.
Il faut arrêter de parler de l’assainissement comme d’une gestion de déchets mais plutôt en parler comme d’une ressource » conclut un entrepreneur togolais.
La montée en compétences, un vrai sujet
Le besoin en infrastructures est une donnée constante dans la plupart des mégapoles africaines mais, pour accompagner un développement de qualité, il faut nécessairement de la compétence. C’est ce que défend Marine Colon, Directrice adjointe de G-Eau (Laboratoire regroupant chercheurs, ingénieurs et doctorants travaillant sur les questions de gestion intégrée et adaptative de l’eau).
« La métropole de Montpellier porte des projets de coopération décentralisée avec des collectivités dans différents pays sur la question de la montée en compétence. Ainsi depuis 2015 un projet de formation dans la vallée de l’Arghen (Maroc) est engagé pour aider les équipes locales dans le dimensionnement de petits réseaux d’assainissement qui posent de multiples problèmes techniques. Nous proposons également des masters à des cadres déjà en poste pour les aider à élaborer un diagnostic de leurs services et à améliorer leurs performances. Depuis 2009, plus de 180 cadres issus de 54 pays différents ont été formés, souvent d’ailleurs en partenariat avec les universités africaines. »